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Epicurisme autour du tartare de boeuf

Julien Fournier

C’était une journée d’hiver où le ciel gris n’était pas là pour nous plaire. L’humidité frappait copieusement à nos portes comme un postier voulant refourguer son calendrier. Le vent, lui, s’engouffrait dans les moindres ruelles afin de chatouiller notre aisance corporelle. Bien entendu, ce n’était pas la Sibérie, mais si j’aimais autant le froid que cela, j’aurais demandé à ma mère de me mettre au monde en Alaska. Suçoter des Mister Freeze en bord de plage durant ma jeunesse me suffisait à tutoyer la banquise. Bref, vous l’aurez compris, je suis plus attiré par la chaleur des iles Marquises. La congélation pénétrante de cette journée de février attisait l’envie de se réchauffer dans un gourmand antre. D’ailleurs, un déjeuner prévu avec un vieux loup affamé allait théoriquement pouvoir me réchauffer. Le bandit m’avait donné rendez-vous à midi, dans un lieu que j’affectionne pour sa convivialité garantie. Outre le petit coup de blanc au comptoir en regardant passer les chalands, l’os à moelle n’y est pas rare, et cela tombe très bien pour les gourmands.

Arrivé le premier sur les lieux du crime, je ne souhaitais pas appeler les secours, mais plutôt me réchauffer avec un mâcon frais qui passait avec un gant de velours. Je vous l’accorde, mon potage vinifié me laissait les extrémités glacées, mais il réchauffait un cœur meurtri par la guerre et la miséricorde. Je plaisante, j’avais juste envie de boire un canon pour sauver un vigneron. Bref, mon compagnon de croustille arrivait bien décidé à lui aussi, se réconforter. Lorsque le bougre me confiait qu’il espérait saucer avec excessivité, je lui rappelais que nous n’étions pas dans un boxon malgré quelques cochons attablés à nos côtés. Le brigand voulait de la fricasse serrant au corps comme le jean d’un danseur de Tektonik. Il réclamait de l’adipeux dans sa bouche en faisant au bien-pensant la nique. J’aimais le voir ainsi, prêt à accueillir l’hostie. Vous avez choisi ?

Nos deux os à moelles liquidés aussi expressément qu’un témoin gênant, la suite des offrandes débarquait dignement tels les buveurs de Coca sur les plages normandes. Si mon acolyte jouissait d’un plat de saison avec son bourguignon, il en était autrement pour moi avec un tartare de bœuf. N’étant pas craintif à l’idée de bâfrer une blanquette sous 40°, pourquoi devrais-je refuser de boustifailler de la viande hachée par climat frisquet ? Je ne sais pas pour vous, mais mâcher un tartare bien assaisonné me procure un voyage direction le goût. Préparé au couteau, le steak accueille les différents condiments comme un hôte bienveillant. Câpres, cornichons, oignons viennent s’ajouter au Tabasco et autres herbes afin de bousculer mon bec accueillant. Le jaune d’œuf faisait la liaison entre tous ces participants, tel un chef d’orchestre qui aspirait à la bonne tenue de ce coquin moment. Diable, les saveurs en bouche ne laissaient aucun doute sur la qualité du mets que j’avalais d’une manière farouche. Et que dire de l’accompagnement, ces espiègles frites qui fournissaient la chaleur suffisante à mon embouchure, contrastant avec l’entrecoupé bovin à la fraîche température.

L’avantage de jeter son dévolu sur un tartare en plat est la présence de gourmandise pour clôturer le repas. La friandise sucrée que nous nous étions partagée comme un couple assumé finissait de nous raviver nos corps musclés. Nous pouvions affronter l’hostilité d’un après-midi de février, tout en attendant sereinement l’heure du diner. Prendre un tartare, c’est aussi l’assurance d’être criblé par la faim tôt ou tard, sensation aussi réjouissante que pour un muet devenir bavard. L’heure était arrivée de quitter ce lieu de cajolerie, avec l’élégance d’un Mongol quittant sa yourte. D’ailleurs, saviez-vous mes farouches asticots, que la consommation de viande hachée fut popularisée dans les régions slaves par ces nomades du froid ? Avec leurs alliés les Tatars, les Mongols émiettaient les viandes trop dures avec la robustesse d’un coupeur de bois. Petit, je pensais que les yourtes étaient des abris pour manger des yaourts. J’étais loin d’imaginer que c’étaient des brasseries d’un autre temps…

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