Le mercredi, ma femme et moi aimions généralement couper notre semaine à l’aide d’une discrète sortie gastronomique. C’est en effet moins dangereux que de se trouver dans une cave à couper son stupéfiant, ou bien hache à la main, devant son rondin. Et puis de toute façon, la première option est impossible car je n’avais déjà même pas la place pour ranger mes quelques Petrus, et la seconde était compromise n’ayant pas de cheminée. Cette modeste virée était toujours d’une agréable coquinerie, en nous permettant d’essayer des adresses aussi bien ficelées que le rôti de votre boucher. Et avec ceci ? Une jolie dose de gourmandise assurée, pour un moment d’une belle intensité.
Cette semaine, nous avions opté pour un petit nouveau de notre belle ville qui proposait une cuisine de bouillon, tradition Parisienne servant une cuisine culturelle cocardière, à des prix aussi doux qu’un linge lavé par sa grand-mère. C’était le genre d’endroit où l’ensemble de la carte nous soumettait à une tentation vive, entre désir débordant et raison digestive. J’avais personnellement décidé depuis la vieille de jouer au chat, dans cette gouttière affriolante qu’était mon os à moelle, concentré de gras à faire angoisser un cycliste squelettique. Ma gourmande de la frontière belge, elle, commandait en guise de prologue six gastéropodes à coquille, que nous avons plus l’habitude de croiser écrasés au milieu d’une route bucolique que devant nos museaux d’alcoolique. La légende racontait à ce sujet que les escargots de France et de Navarre aient écouté notre président, leur suggérant de traverser la rue pour trouver de la salade. En tout cas, ce mercredi soir, la demi-douzaine bourguignonne, aillée et persillée à souhait, allait se faire emboutir non pas par un camion mais une belle dentition. Et puis, qui pouvait se targuer d’être attablé avec autant de représentant de ce coin de France hormis Guy Roux, lors des belles années Auxerroises.
L’appréciation des limaçons est un art dont l’interprète doit parfaitement connaitre la sensibilité, fait de délicatesse avec la fourchette à escargot, ne laissant aucune place à la médiocrité sous peine de se tacher. D’ailleurs, votre meilleur allié sera le bout de tissu qui fera rempart à vos tétons gorgés de désir, puis essuiera les contours brillants de votre boite à dires. Concernant ma bien-aimée, je remarquais assez vite qu’elle n’avait pas besoin qu’on lui raconte des mensonges pour gober avec autorité. La filoute rousiquait avec bonheur ce qu’elle pêchait avec ardeur. Au bout de son trident miniature, l’animal n’avait pas le choix que de s’enfoncer dans une gueule avec émoi. Le beurre d’escargot remplaçait grassouillettement sa bave, et atteignait facilement ma blanche palombe. Cette polissonne se régalait et ne regrettait en rien son choix de becqueter Français. En quelque sorte, elle était diplomate en rendez-vous décisif avec ceux qui parsemaient son met, les aromates.
L’historique de la consommation d’escargots remonte à la préhistoire, avant de connaître son heure de gloire lorsque qu’ils furent cuisinés de cette manière pour un repas entre Louis XVIII et le Tsar de Russie, par un chef Bourguignon. Autrement dit, ce fleuron initialement régional est devenu un emblème de notre culture colossale. L’inconvénient pour les disciples des lents à coquille est que l’on n’en trouve pas partout, la faute à une trop faible demande des estomacs français, peu informés sur le sujet. Effectivement, nous avons plus l’habitude de croiser un collège avançant son labeur au rythme d’un escargot enrhumé, ou bien faisant une opération routière pour faire chier, alors qu’initialement l’escargot est tout sauf anxiété. Nous avions de ce fait avec ma douce, une gratitude poussée pour ce bouillon qui nous a réconforté et réhabitué à une gastronomie loin d’être oubliée. D’ailleurs, en hommage à notre diner, j’ai moi-même bavé en rentrant dans notre propriété.
Qui a dit qu’il fallait avoir une coquille pour laisser sa trace…