Une famille de Jurassiens vient de s’installer sur Bayonne et d’ouvrir un restaurant plus que coquin. La gourmandise de cette première phrase est telle, que ma chronique pourrait s’arrêter après cette information essentielle. Imaginez bien mes vigoureux vermisseaux, la joie que procure cet aménagement chez les nombreux amateurs de fromage fondu. Elle est semblable à l’extase d’un manchot devant une vitrine remplie de prothèses de bras. En tout cas, un Jurassien qui décide de faire à manger dans une contrée aussi dépeuplée en mets fromagers, je vous le promets, cela va comté !
Veille de réveillon de Noël, un compagnon de route aussi empathique qu’un bénévole de la soupe populaire me proposait un moment nutritionnel. Ne refusant que très rarement ces instants de sincérité, je décidais d’accepter avec l’espoir de me laisser bercer par une licencieuse becquée. Alors que je partais rejoindre le chaland, ma mère venait de m’appeler afin de me préciser la non-obligation de m’en mettre ras la sacoche une veille de festin géant. Je l’avais rassuré sur cette non-intention, et donc délibérément menti comme Cahuzac avec aplomb.
Si je vous disais que comme moi, l’ami qui m’accompagnait désirait la table, ce ne serait pas une fable. Le chenapan avait convoité une petite randonnée en fin d’après-midi, dans le seul but de développer son futur appétit. Ce plan diabolique marchait comme sur des boulettes, puisque sur les coups de 20h nous étions affamés comme des bêtes. Restait donc le choix du restaurant, qui allait accueillir nos ventres aimants. Lorsqu’il s’agit de sélectionner une auberge gourmande, bizarrement on me demande plus souvent mon avis que pour partager mon ressenti sur le PIB de la Finlande. Souvenez-vous des nouveaux arrivants du début de chronique, et suivez-nous. Direction les hauts plateaux du Jura.
Je fondais énormément d’espoir dans cette nouvelle boutique calorique. Étant un ardent amateur de filaments orgasmiques, j’espérais avec la fondue du soir faire de ma barbe une crèmerie fantastique. Que dire sur l’idée de tremper le bout de façon fantasmagorique le temps d’un dîner sollicité. Nous jetions notre dévolu sur une piscine de comté, sorte de parc aquatique jurassien pour clients affamés. Ici, le maillot de bain laisse place à de longues piques pouvant réveiller un végétatif de sa léthargie. Aussi, la chemise à fleurs de minet décomplexé est absurde lors de ce genre de souper. Optez pour un pull épais, pouvant mieux absorber l’odeur que vous emporterez dans votre chalet. Contrairement à l’avion, dans cette situation, il faut desserrer la ceinture afin que la pression du frometon soit bien canalisée. À la croûte nom d’une pipe en bois d’acajou !
La proposition odorante était servie dans une citerne en pain, sûrement pour alléger le festin… Le chapeau du boulanger s’émiettait directement dans le bassin, et nos piques venaient repêcher nos hameçons nappés de bienfait. Si le crack est addictif, ce plat est profondément jouissif. Comment ai-je pu passer à côté de cet amour durant trente-cinq balais ? Mon acolyte et moi faisions barboter nos quignons, tels deux maîtres-nageurs plein de responsabilités. Le niveau du comté baissait au fil de la soirée, et nos estomacs devenaient encombrés comme de vulgaires débarras. Pour pousser, il y avait du vin du Jura Inch’Allah. Glou glou glou, qu’était ce rouquin passe-partout.
La première difficulté de la soirée fut, non pas de se piffrer, mais de se lever pour tenter de payer. Au comptoir, la famille jurassienne réunie éclairait le lieu de sympathie. Les bougres n’entendaient pas nos bedaines à la peine, mais devinaient nos alcoolismes en proposant une liqueur de sapin. Je vais vous dire une chose mes asticots, nous ne sommes pas pépiniéristes, mais nous avons basculé cela avec un certain goût du risque. Le Jura, merci d’être là.