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Epicurisme autour de la rencontre avec Talaia, la coutellerie basque

Julien Fournier

Le parcours de chacun est jalonné de rencontres plus ou moins enrichissantes, méritant qu’on prenne le temps de les raconter, telles des histoires attendrissantes. De la même manière que j’ai pu vous abreuver durant quelques années de proses sur la belle becquée, l’important était dorénavant de se pencher sur les faiseurs de mes mets préférés. On boit, on mange, on rigole devant une table remplie de bénédictions, et surtout, on remercie la vie pour ces douces occasions. Seulement, avant d’avoir la mâche généreuse ou la gorgée facile, il ne faut jamais oublier que des hommes et des femmes se tiennent aux prémices d’une chaîne que nous consommons avec gloutonnerie. Même si nous ne sommes pas dans l’obligation de connaître toutes les ficelles ni les tenants et aboutissants d’une filière ovine, d’un travail de la vigne, ou de la production agroalimentaire et ses lignes, la soif d’apprendre n’étouffera jamais le bipède, qui, de curiosité, trépigne. Et puis, vous vous doutez bien que derrière mon itinérance gourmande se cachent de talentueux personnages, ne laissant pas intact mon paysage. Relater des trajectoires sans être pilote de Formule 1, vous me direz que c’est de mauvais présage. Mais raconter des destins avec mon originalité sera aussi jouissif que pour un dentiste un excellent détartrage. Aussi, si vous désirez cligner des yeux, faites-le maintenant avant que l’on passe au paragraphe suivant, et que l’on prenne la temporalité nécessaire de se rendre compte du monde qui tourne, finalement, assez admirablement.

Je vous mentirais, mes élégants mulots, si je vous disais que la principale qualité de mon interlocuteur matinale était d’apprécier le tiramisu. Il est vrai que le bougre a ce que l’on appelle une belle dalle, mais surtout un appétit de vie malheureusement trop peu banal. Éric est ce que l’on nomme un authentique, et je ne l’écris pas seulement parce que cela rime. Il suffit de passer quelques heures avec le personnage, pour savoir que ses valeurs n’ont besoin d’aucun mime. Sa vie est un sentier sinueux, que l’on prend d’un pas décidé car il nous mène sur un pâturage heureux. Cherchant pour ma part des destins à raconter afin de nourrir ma curiosité, j’étais rassasié d’humanité à ma sortie de son atelier. Car je ne vous l’ai pas encore dit mes asticots, mais le chenapan à casquette est un artisan aux doigts patinés par le travail bien fait.

Ce matin-là, le ciel gris laissait tomber des gouttes régulières d’eau potable, rendant mes magnifiques boucles naturelles vulnérables. Le rendez-vous était fixé sur les coups de neuf heures, dans l’univers d’Éric, juxtaposant sa demeure. Ma cible au grand cœur tenait une coutellerie artisanale, dans une impasse lui laissant des possibilités colossales. D’ailleurs, il ne s’empêchait pas de s’épancher auprès de moi, afin de me confirmer que venir chez lui était un acte consenti. Son lieu de création, tapissé de références anciennes de bon goût, reflétait quelque chose de mon acteur de cet automnal mercredi. Il avait construit son paradis, et ce dernier semblait lui dire que c’était pour la vie. Finalement, l’existence lui avait appris la résilience, pour nous offrir son labeur et les fruits de celui-ci. Car oui, Éric, grâce à ses bâtons et couteaux, est un ambassadeur de l’artisanat de notre pays. N’ayons pas peur des mots mes espiègles crustacés, il a lame d’artiste…

Un accident de la vie a fait comprendre à ce tatoué autodidacte qu’il ne fallait plus perdre de temps à gaspiller de l’énergie dans des salades. Pour un Niçois de naissance vous me direz… Si le fondateur de la marque Talaia est né près de la frontière italienne, c’est bien chez lui, au Pays basque, qu’il a fait des siennes. Le trajet de ses années faisait la conversation que nous avions, entre deux passionnés. Assurément, il avait quelque chose que je n’avais pas, le savoir des mains. C’est bien ce que je venais chercher au fil de mes rencontres épicuriennes, de la matière dont j’absorbais les moindres résidus sans peine. J’avais décidé d’emprunter cette voie, et en sortant de cette confluence, mon projet avait encore plus de sens.

Au sein de sa fabrique, Éric confectionne du beau. Couteaux, bâtons de marche, makilas et parapluies sont les témoins de sa belle panoplie. Si sur sa moto, l’entrepreneur ne décélère que rarement, le bois choisi pour quelques-unes de ses innovations est le frêne. Aussi solide que le gaillard, le matériau est choyé sous le regard de la mascotte du quartier, Carambar. Le chef, au fond, c’est lui ! Mais chut, ne dites rien à Éric. Les mains de bâtisseur étaient aussi zébrées que le maillot de la Juventus, mais surtout d’une précision à trouver constamment des astuces. Tiens, savez-vous non pas planter des choux, mais que les manches des couteaux et les pommeaux de bâtons de marche sont confectionnés en corne de Manech, race de brebis basque. Vous en demandez encorne ? Il s’était lancé seul dans cette aventure, convaincu qu’une canne devait avoir sa noblesse, un bâton, sa marche peu importe sa vitesse, et le couteau, sa manière de trancher dans le vif avec finesse. Car la table n’est jamais loin avec moi, je savais avant mon arrivée que ses bistouris garnissaient des tables prestigieuses, et coupaient quotidiennement des bouts aux saveurs généreuses. Diable, continuons notre chemin à table, sans couper court à nos palabres sans ennui.

Il s’agissait de ne pas terminer autrement qu’autour d’une nappe ce rencard, qui paraissait n’être plus un hasard. Nous délaissions le temps d’un déjeuner italien la coutellerie et son savoir-faire, pour narrer nos visions et ce qui pouvait nous plaire, en laissant derrière nous les qu’en-dira-t-on. La création, qu’elle s’exprime par le biais de l’écriture ou de l’artisanat sur mesure, est une porte déverrouillée vers ce qu’on l’on appelle la liberté. Nous nous disions cela en plongeant nos cuillères dans un coquin minestrone, qui nous réchauffait gentiment, nous, les rois bien installés sur nos trônes. Souvenez-vous du tiramisu raconté en préambule de mon récit, qui mettait déjà en exergue le comportement du nigaud devant les morceaux bénis. Nous semblions être à notre place, et cela n’avait pas de prix ! Prenons-donc un second café… Le premier épisode de notre version commune touchait à sa fin, et nous desserrions nos ceinturons à la sortie du restaurant, par manque de faim. Ce qui n’avait pas manqué, c’était la sincérité d’Éric, artisan heureux et coutelier courageux. Ma phrase faisant office de terminus fonctionne à merveille dans les deux sens. Sachez-le… Merci pour ce moment.

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