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Epicurisme autour de l’oeuf et velouté d’épinards

Julien Fournier

L’acquisition de maturité nous permet de savourer des mets, anciennement exécrés. Ennemie par excellence des sens de l’enfance, je pense à la plante potagère venue d’Iran, qui ne mettait aucun chérubin en transe. Ses feuilles, lisses ou cloquées, abordent une couleur vert foncé aussi interrogative que le teint d’un bigorneau pas frais. Démocratisé par Popeye et ses biceps aussi vallonnés que le galbe de mon ancienne voisine, l’épinard a dû faire du chemin avant que dans ma bouche, il puisse me raconter une comptine. Notons au passage, que le personnage de fiction, jouait de tromperie en nous vantant les bienfaits d’un fer en réalité peu présent chez le végétal. Cette fausse information venue d’un marin, a fait de moi pendant longtemps un défiant des aliments dont ma bataille était navale. Revenons à nos boutons comme dirait mon ami couturier, et allons visiter ensemble mon nouveau bien-aimé.

Courant de semaine dernière, ma mère prit un rendez-vous sur Bayonne en fin de matinée. La gredine, savait pertinemment ce qu’elle faisait, en se montrant avant le déjeuner dans les rues d’une cité où l’on aime manger. L’occasion était comme elle, belle, d’appeler son bouchon pour casser une graine en toute inadvertance… Je précise que ce surnom ne veut pas dire que je suis en liège, ni de Liège. Il témoigne simplement d’une coquetterie adressée à l’unique progéniture de mon ascendance. Il me fallait donc trouver un déjeuner ficelé avec qualité, et dont le tarif permettrait de payer un peu plus tard notre électricité. C’est sûr que la sapajou me demandait moins de lui dégoter une église pour prêcher… Bref, j’avais le lieu qui attendait nos papilles de gens heureux, ainsi que nos faims aiguisées.

Sans grande hésitation, je confiais nos destinées à une crémerie dont la cuisine invitait à la pérégrination. Rien que le nom de notre cantine sonnait bon les Andes, et la Terre promettait d’être la Mère de nos envies gourmandes. Une popote du terroir, conjuguée à l’attente d’aller ailleurs, voir, et notre déjeuner pouvait être entamé à trois. Oui, mon polisson de père renifle facilement ces plans de joie. Notre prologue béquillard laissait place à un œuf submergé par une onctuosité d’épinard. Parfaitement mes souriceaux, je m’apprêtais à plonger ma cuillère dans ce velouté, tel un apnéiste s’abandonnerait aux abysses de la marée. Le plaisir que j’y prenais n’était même pas dissimulé, tant je l’exprimais allègrement auprès de mes parents. La déjection de la poule, percée franchement, laissait s’émouvoir un jaune franc se mariant délicatement au vert, pas qu’à moitié bien. Mazette, ce plat se transformait en palette de couleurs devant nos museaux de peintres en sentiments.

Sans psychologues, nous arrivions aisément à aller au fond des choses, pour découvrir le Provolone aux arômes lactiques, sorte de coquine apothéose. La texture prenait de l’épaisseur pendant que nos palais se convertissaient en maisons du bonheur. Les croûtons, eux, faisaient office de fanfare sous nos dents, jouant une participation croustillante et de bon ton. Honnêtement, je ne prêtais jadis que peu d’espoir à me régaler avec l’épinard, et pourtant, l’impression d’être passé à côté de cette culture me donnait l’envie d’arrêter de jouer au fuyard. Lorsque nos suites arrivaient, je rêvassais déjà du mariage dans lequel j’aimerais être convié ! Celui de l’épinard et de la chèvre dont je serais le monsieur serein…
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