Comme dirait la profonde cantatrice du XXI siècle Jenifer, je me suis retrouvé l’autre jour dans une salle de restaurant à attendre l’amour de mes rêves. Jusqu’à là vous me direz, rien d’original pour quelqu’un comme moi, avec l’attrait de la dalle. Je fréquente en effet plus volontiers les salles à manger que les files d’attentes de musées. Mon choix, afin de ma rassasier, s’était porté sur un classique de la boustifaille du Sud-Ouest. Le vrai, pas celui qui monte jusqu’à Guéret ! Le droit de cuissage que j’allais exercer auprès de mon assiette enfantait le délice autour du canard. En quelque sorte le vrai panard. Même si pour moi la prise de confit est apparentée à une option touristique en recherche d’authenticité, mon désir de voyager local devait être satisfait. Et puis, voir la graisse était de suite moins chère que la Grèce… Alors comme me dit mon ami autoritaire, je ne vais pas y aller par quatre boudins.
Peu de temps après ma commande, mon tête à tête avec la cuisse pouvait être entamé. Elle était belle, d’un calibrage parfait et d’un teint halé à faire fureur sur les plages de Djerba. Je peux déjà m’estimer heureux que la coquine était devant moi. Et puis, je l’aimais bien ce morceau de palmipède. Il me faisait penser à mon indiscrète voisine, un peu grasse et toujours affable de moments croustillants. La viande, servie avec des pommes de terre cuites dans l’armure fondue de Daffy Duck, est un plat réconfortant dont la franchise ferait chavirer Cahuzac de son assise. Si visiblement les canards ont la queue plate car ils se feraient sucer par les castors, leurs cuissots adipeux en revanche ont le relief généreux nous montrant que les prendre n’est jamais un tort. Je dois dire que le moment était tellement chouette, que j’avais une envie soudaine de tomber la fourchette. D’ailleurs, un ami en revenant de son séminaire en Thaïlande m’avait dit à l’époque « C’est plus pratique avec les doigts des fois ». Je venais de me rendre compte que le sacripant parlait de confit de canard. Effectivement, cureter l’os à la main avec la coquetterie d’un camionneur Lituanien est à la fois ludique et pratique. Le bavoir bien accroché est un pass sanitaire assumé.
Mon assiette ne serait en rien parfaite si le voisinage était en conflit avec mon confit. Inutile pour moi de jouer le médiateur avec les succulentes « patates », coupées d’une forme nommée succès. Comme le chef, l’amidon est d’ici, et sa transformation maison. L’irrégularité de ses courbes (De l’amidon, pas du cuisinier) ne laissait pas la place à la monotonie, sinon à une vigoureuse tentation semblable aux grandes heures de la télévision. Et que dire quand on trouve à la périphérie de sa gamelle une longueur verte qui demande juste à ce qu’on la prenne par la queue. Le bout bien salé doit être croqué énergiquement, sans demander un quelconque pardon. De toute façon, le Padrón ne comprendrait pas, aimant se faire aspirer telle une trompette par un Amphion.
L’harmonie par le goût, mais aussi par la couleur de ma proposition, a fait de mon épisode culinaire de mi-journée une parenthèse pleine de joyeuseté et de filouterie gourmande. Je ne me sentais même pas dilaté dans ma Clio, grâce au bienfait de mon stratosphérique rôt. Le son était digne d’un baryton, et la puissance faisait tituber mon fanion du Sporting Club Bastiais. Un sentiment du devoir accompli m’envahissait encore davantage car je remarquais que je ne m’étais pas tâcher. Je ne sais pas pourquoi, j’étais aller becqueter en blanc comme si j’allais croiser Eddie Barclay entre la plonge et la machine à laver. Bref, aucunes salissures sur ma panse, de la forme d’un ralentisseur présent devant une école de danse.
La conclusion de mon escapade ne pouvait se terminer autrement qu’en chanson, fenêtres ouvertes et cheveux au vent, en chantonnant tel un canard le tube de Christophe Magret, « Il est où le bonheur, il est où… ». Moi je le sais.